En 1931, la librairie Ernest Flammarion édite « Initiation à la sculpture » dont l'auteur est le sculpteur Henry Arnold. Miracle de l'Internet, j'ai pu récemment m'en procurer un exemplaire original.
Dans cet ouvrage, l'auteur détaille avec pédagogie – Arnold fut professeur à l'École des arts appliqués – les différents procédés de sculpture : le modelage, la taille directe, le moulage, la fonte du bronze, etc. Il expose ensuite ses conceptions artistiques, classant d'un côté les données matérielles et de l'autre, les données intellectuelles. En dernier lieu, il revisite l'histoire de la sculpture, de l'Antiquité aux années 1930. Un pareil livre, rédigé par un artiste du niveau d'Henry Arnold, est sans doute unique en son genre. En tant que sculpteur, j'en ai savouré chaque ligne, tel un alchimiste découvrant un vieux grimoire perdu.
Dans une écriture à la fois précise et exaltée, Arnold décrit ce qui constitue selon lui le génie du maître florentin, démontrant ainsi qu'il est vain de chercher à l'imiter (ce qui est, à mon humble avis, tout aussi valable pour Rodin) :
« Tout ce qui jusqu'alors avait été une règle, un principe ou un but dans l'art, fut balayé par le génie torrentiel du Titan florentin qui domina tout à la fois l'architecture, la peinture et la sculpture de son temps. Usant de ces trois modes d'expression, équilibreur de masses, ordonnateur de lignes ou pétrisseur de formes, il fut essentiellement le créateur d'une plastique étrange, née tout entière de son cerveau, et où la nature violée, tourmentée, asservie, n'a plus de vérité, à peine de vraisemblance, et obéit aux rythmes déchaînés d'harmonies supérieures qui sont le fait de son imagination bien plus que de sa sensibilité.
Connaissant à fond l'anatomie, Michel-Ange la transgresse constamment. Les mouvements des figures du tombeau des Médicis l'Aube, le Crépuscule, la Nuit et le Jour sont un défi aux possibilités du mécanisme humain... Qu'importe ! La raison harmonique qui régit les lumières et les ombres que comporte le modelé tourmenté des surfaces propose à l'œil mille parcours aériens qui passent de l'une à l'autre des figures, se coupent et se recoupent selon des orbes calculées et voulues. Ces parcours aériens enferment tout l'espace dans un réseau impérieux que le regard subit sans besoin d'analyse, s'imposent à lui comme un chant à l'oreille, agissent sur les nerfs par leurs rythmes forcenés, leurs fougues, leurs élans et font réaliser la vie mystérieuse à laquelle le génie a forcé la matière.
Michel-Ange joint à cette plastique émouvante par elle-même, l'inquiétude d'une pensée tumultueuse, la hantise du paroxysme dans l'expression, l'absolutisme de la passion allant jusqu'à la violence, un besoin de créer des êtres à sa mesure morale, reflets d'une vie faite de rancœurs, de dédains et d'indicible espoir. Son influence, immédiatement sensible sur la sculpture de son temps, fut immense. Mais tout ce qui semblait être les qualités essentielles du génial Florentin devint la cause de la décadence évidente de ses imitateurs. Aucun de ceux-ci n'a compris ou saisi le jeu des mille rapports plastiques dans lesquels s'enfermait cette sculpture qui obéit à des lois d'harmonie qui dépassent la raison humaine et dont le génie donne la prescience sans en donner la connaissance à l'esprit. Chez d'autres, la force devint désordre, la puissance devint lourdeur ; le lyrisme devint emphase et la force de l'expression outrance et caricature. »
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